André-Marie Tremblay devant Elix, 2001 |
Les propriétés de la matière solide ou liquide dépendent des propriétés des atomes constituants, mais aussi de phénomènes plus subtils, dits collectifs. Un des phénomènes collectifs les plus remarquables est celui de la supraconductivité. Dans cet état de la matière, les phénomènes propres à la théorie la plus fondamentale de la matière, la mécanique quantique, se manifestent à une échelle macroscopique: les courants électriques circulent sans résistance, et les champs magnétiques sont exclus, donnant lieu au phénomène de lévitation souvent illustré dans la presse populaire (voir figure). La compréhension de ce phénomène quantique collectif par Bardeen, Cooper et Schrieffer en 1957 fut un succès retentissant. La supraconductivité est devenue tellement bien comprise qu'elle a commencé à être utilisée pour caractériser d'autres propriétés des matériaux. Cet état de choses a subitement changé en 86-87 suite à la découverte de la supraconductivité à haute température. Ces températures, aux environs de 100K, sont cinq fois plus élevées que la vingtaine de degrés Kelvin connue auparavant comme la plus haute température à laquelle un matériau pouvait devenir supraconducteur.
Les propriétés des supraconducteurs à haute température de transition ne peuvent pas être expliquées par les approches conventionnelles, approches qui ont pourtant eu des succès retentissants. Ces succès sont visibles aujourd'hui entre autres en électronique moderne, qui trouve sa source dans la compréhension fondamentale détaillée des semiconducteurs, des métaux, et des matériaux magnétiques.
Le défi intellectuel posé par les supraconducteurs à haute température de transition s'étend à plusieurs autres classes de matériaux qui ont en commun une très forte anisotropie (uni- ou bi-dimensionnelle), la présence d'interactions fortes entre les électrons et l'importance des phénomènes quantiques collectifs. On regroupe ces matériaux sous le vocable de matériaux quantiques.
L'objectif général de ce programme de recherche est de comprendre la physique des électrons dans les solides où la force des interactions (on dit aussi le couplage) entre électrons et l'impossibilité de se déplacer dans certaines directions mènent à des phénomènes physiques nouveaux. Dans les conditions que nous venons de décrire, on dit que les électrons sont fortement corrélés.
L'amélioration des méthodes théoriques pour traiter les électrons corrélés est un sous-objectif de ce programme de recherche. Plusieurs méthodes existent déjà. Cependant, certaines d'entre elles sont nouvelles et ont encore besoin d'être vérifiées. De plus, il n'y a encore des cas où on ne connaît pas de méthode analytique appropriée. Nous avons déjà développé deux nouvelles approches, une en couplage intermédiaire et une en couplage fort.
Mentionnons aussi comme sous-objectif, l'étude des supraconducteurs organiques par des approches analogues. Il s'agit là d'une autre classe de matériaux pour laquelle la supraconductivité n'a pas d'origine généralement admise. Il n'est pas rare de trouver dans la littérature des idées développées dans le contexte des supraconducteurs organiques s'appliquer aux supraconducteurs à haute température de transition et vice-versa.
Plusieurs méthodes analytiques ont été
développées pour comprendre les systèmes fortement
corrélés. Aux fonctions de Green des années 60
s'est ajouté le groupe de renormalisation dans les années
70, puis les méthodes de simulation numérique et les méthodes
de type non-perturbatives (bosons esclaves et développements
en 1/N) dans les années 80 et enfin des méthodes comme
la théorie de champ moyen dynamique dans les années 90.
Les méthodes numériques étaient d'abord assez limitées,
mais grâce à des développements algorithmiques
et à l'augmentation de la puissance de calcul des ordinateurs,
il est maintenant possible de faire des simulations fiables dans des
régimes de paramètres intéressants.
Le modèle dit de Hubbard tient compte de la façon la plus simple possible de la physique qui influence le comportement des électrons dans de tels systèmes, soit la présence d'un réseau cristallin et l'existence de répulsion entre lesdits électrons. Nos efforts se concentrent sur ce modèle avant d'attaquer des modèles plus complexes.
Nous utilisons plusieurs approches complémentaires. Du côté analytique, nous avons développé une nouvelle approche non-perturbative qui permet d'obtenir des résultats supérieurs à ceux des autres approches lorsqu'on les compare aux simulations Monte Carlo. Notre approche prédit des effets physiques nouveaux. Nous continuons de développer cette méthode en plus de l'appliquer à différents problèmes. Les simulations numériques sont aussi essentielles, entre autres pour nous permettre de tester la validité des méthodes analytiques puisque celles-ci sont en général approximatives. Nous avons développé des programmes de simulations numériques sophistiqués que nous mettons maintenant à profit pour réaliser nos objectifs. Il n'existe maintenant dans le monde qu'une dizaine de groupes qui ont développé cette expertise. Nous utilisons plusieurs ressources de calcul numérique. En plus des ordinateurs du Réseau Québécois de Calcul Haute Performance, à Sherbrooke Alain Veilleux, Michel Barrette et Mehdi Bozzo-Rey ont monté une grappe d'une soixantaine de processeurs Intel (classe Beowulf, voir image) qui nous permettent d'atteindre des vitesses de calcul comparables aux super-ordinateurs. Une subvention d'infrastructure obtenue de la Fondation Canadienne de l'Innovation et du programme de Chaires de Recherche du Canada nous permet maintenant de mettre au point une grappe de plus de 200 processeurs dont la première phase (100 processeurs) devrait être opérationnelle en 2002.
La méthode que nous avons développée est la seule qui permette d'obtenir, sans paramètre ajustable, un bon estimé de la température critique et des fluctuations de spin pour le modèle de Hubbard bi-dimensionnel en régime de couplage faible à intermédiaire. Notre approche permet aussi d'avoir accès aux propriétés à une particule. Nous utilisons cette approche dans plusieurs projets.
ii) Projet Monte Carlo quantique Nous continuons de développer cet outil précieux qui nous permet de constamment vérifier la validité de nos approches et d'explorer des domaines de paramètres inaccessibles aux méthodes analytiques. Le programme a été réécrit en Fortran 90 et restructuré par Hugo Touchette en 1996. En 1998 David Poulin et Steve Allen ont terminé les travaux entrepris par Samuel Moukouri pour développer les programmes pouvant analyser les données Monte Carlo en temps imaginaire pour en extraire, par une méthode de prolongement analytique dite "d'entropie maximum", les propriétés en fréquence réelle. Un grand nombre de projets ont été rendus possibles grâce à ces programmes.
Approche auto-cohérente à deux particules et approximations conservatives: Dans ce travail plutôt formel, nous avons présenté une dérivation de notre approche non-perturbative qui met en lumière les ressemblances et les différences avec les approches dites conservatives. Nous employons la méthode des champs sources, (ou de dérivée fonctionnelle ) développée par Martin-Schwinger-Kadanoff et Baym.
Transition de Slater dans le modèle de Hubbard bi-dimensionnel: Nous avons montré comment interpréter correctement des résultats de simulations numériques qui prétendaient démontrer l'existence d'une transition de Mott même à couplage faible dans le modèle de Hubbard bi-dimensionnel. Le bien fondé de notre point de vue est vérifiable expérimentalement en mesurant la taille relative de la longueur de corrélation antiferromagnétique et de la longueur d'onde thermique de de Broglie.
Susceptibilité de paire de type d pour le modèle de Hubbard bi-dimensionnel. Avec Jean-Sébastien Landry, stagiaire coop , nous avons entrepris une étude systématique de la susceptibilité supraconductrice de type d du modèle de Hubbard répulsif. Grâce à des moyens de calcul puissants, nos résultats couvrent une vaste gamme de paramètres. Nous observons un maximum de la susceptibilité à dopage fini. Une généralisation de l'approche que nous avons développée avec Vilk permet d'expliquer ces résultats numériques dans le domaine de couplage faible à intermédiaire (voir ci-dessous).
Susceptibilité de spin et de charge dans le modèle de Hubbard attractif. Bien que la méthode développée avec Yury Vilk et Steve Allen permette de décrire assez précisément les fluctuations dominantes, telles les fluctuations de paire dans le modèle de Hubbard attractif, les canaux non-singuliers sont plus difficiles à calculer de façon fiable. Avec Bumsoo Kyung et Steve Allen, nous avons trouvé une façon d'utiliser la symétrie de croisement pour calculer la susceptibilité de spin et celle de charge dans le modèle attractif. Ces résultats peuvent maintenant être généralisés au cas du modèle de Hubbard répulsif, tel que décrit dans le paragraphe suivant.
Comment les fluctuations antiferromagnétiques peuvent à la fois nuire et aider à la supraconductivité de type d. Les canaux non-dominants dans le modèle de Hubbard répulsif sont les canaux supraconducteurs, ce qui indique l'importance de réussir à faire ce calcul, tel que mentionné au paragraphe précédent. Nous touchons à un problème qui va au coeur de la supraconductivité à haute température. Les résultats analytiques obtenus avec Bumsoo Kyung sont en accord quantitatif avec les simulations de Jean-Sébastien Landry, mentionnées ci-haut. Notre approche permet d'obtenir un estimé de la température de transition supraconductrice qui est en forme de dôme en fonction du dopage. Loin du demi-remplissage la température de transition augmente lorsqu'on réduit le dopage à cause de l'augmentation des fluctuations antiferromagnétiques. En se rapprochant du demi-remplissage, ces fluctuations antiferromagnétiques créent un pseudogap qui fait chuter la température de transition supraconductrice. L'ajout des effets tri-dimensionnels permettra d'obtenir des résultats plus quantitatifs, entre autres pour la position de la transition de phase antiferromagnétique.
Description phénoménologique de la compétition entre l'antiferromagnétisme et la supraconductivité de type d. Les résultats du paragraphe précédent ont été obtenus dans le régime du couplage faible à intermédiaire. Or, les supraconducteurs à haute température sont plutôt dans la limite du couplage intermédiaire à fort. Il est possible d'obtenir une description phénoménologique dans ce régime de couplage en partant directement du modèle t-J, et en calculant les interactions effectives par des règles de somme. Les fonctions de corrélation entrant dans ces règles de somme sont à temps égal et à courte portée dans l'espace. Elles peuvent être estimées à partir de la théorie de champ moyen puisque nos études antérieures sur le modèle de Hubbard attractif avaient démontré que c'était une bonne façon d'estimer ces fonctions de corrélation. Cette approche, suggérée par Bumsoo Kyung, permet de trouver de bonnes valeurs pour le pseudogap et plusieurs autres quantités physiques mais n'est pas quantitative pour toutes les quantités observables
Uniformité thermodynamique et localisation induite par la température dans les systèmes en interaction. Sébastien Roy , dans son mémoire de maîtrise, généralise l'approche de Yury Vilk pour calculer les propriétés thermodynamiques du modèle de Hubbard. Il y a deux façons d'obtenir la thermodynamique dans cette approche. En général les résultats concordent à quelque pourcent près. Lorsqu'il y a désaccord substantiel, les méthodes analytiques ne sont plus fiables, comme on peut le vérifier en comparant à des simulations Monte Carlo quantique. Le calcul de l'entropie permettra d'interpréter différentes mesures ainsi que le phénomène de localisation induite par la température et les interactions. Ce dernier phénomène avait été découvert pour tous les remplissages à deux dimensions par François Lemay dans sa thèse de doctorat et il avait été confirmé par des simulations Monte Carlo débutées par Jean-Sébastien Landry . Sébastien Roy vérifie aussi avec David Sénéchal la précision de la thermodynamique obtenue de la méthode de Théorie des Perturbations Inter-Amas développée par ce dernier.
Impuretés dans les systèmes en interaction. Le stagiaire Alexis Gagné-Lebrun a entrepris le calcul de la densité d'états locale autour d'une impureté dans le modèle de Hubbard à l'aide de simulations Monte Carlo Quantique. La densité d'états locale est mesurable par spectroscopie par effet tunnel. La façon dont une impureté modifie la densité d'états locale en fonction de la distance à l'impureté donne des informations détaillées qui devraient nous renseigner sur la nature des impuretés et des interactions dans le milieu.
"Fonte" de la surface de Fermi. David Sénéchal a développé une méthode numérique, la Théorie des Perturbations Inter-Amas , basée sur une théorie des perturbations à couplage fort que nous avions mise au point il y a quelques années. Nous utilisons présentement cette approche pour comprendre comment sont modifiés les concepts liés à la surface de Fermi lorsque la proximité au demi-remplissage et la force des interactions invalide les concepts habituels, en particulier celui de liquide de Fermi.
Effet des fluctuations supraconductrices sur l'atténuation ultrasonore dans les supraconducteurs organiques quasi-bi-dimensionnels. Avec Maxim Mar'enko et Claude Bourbonnais, nous tentons d'interpréter des expériences faites dans le groupe de Poirier sur l'absorption ultrasonore dans les conducteurs organiques de la famille (BEDT-TTF) 2X (phase kappa). Bien qu'il y ait une vaste littérature sur l'effet des fluctuations supraconductrices sur la conductivité, très peu de travaux ont porté jusqu'à maintenant sur l'absorption ultrasonore.
We also continue to develop and use our
Monte Carlo simulations programs
. The program has been rewritten in Fortran
90 in 1996 and it runs on the
SP parallel computer
of the RQCHP and on Beowulf clusters. We have also developed
code that allows us to extract real-frequency properties from imaginary
time data. These Maximum Entropy programs are allowing us to investigate
dynamical properties and to establish the difference between thermal and
strong-coupling induced pseudogaps. These programs are also used in a
number of projects described below. A grant from the Canadian
Foundation for Innovation and the Canada Research Chair Program will allow
us to build a 200 CPU cluster.
In this rather formal work, we present a derivation of our non-perturbative approach that highlights similarities and differences with so-called conserving approximations. We use the source field approach (or functional-derivative approach) developed by Martin, Schwinger, Kadanoff and Baym.
- Conserving approximations vs Two-Particle Self-Consistent Approach by S. Allen, A.-M.S. Tremblay and Y.M. Vilk.
We have shown how to correctly interpret the results of numerical simulations that were claiming to show the existence of a Mott transition even at weak coupling in the two-dimensional Hubbard model. The validity of our viewpoint is experimentally verifiable by measuring the relative size of the antiferromagnetic correlation length and the thermal de Broglie wavelength.
- Comment on "Absence of a Slater Transition in Two-dimensional Hubbard Model" by B. Kyung, J.S. Landry, D. Poulin and A.-M.S. Tremblay.
With coop student Jean-Sébastien Landry , we began a systematic study of the superconducting d-wave susceptibility for the attractive Hubbard model. Thanks to exceptionally large computing power, our results cover a broad range of parameters. We observe a maximum at finite doping. A generalization of the approach developed with Vilk allows us to explain these numerical results from weak to intermediate coupling (see below).
- d-wave Pair Susceptibility for the two-dimensional repulsive Hubbard model by J.S. Landry and A.-M.S. Tremblay.
Spin and charge susceptibility in the attractive Hubbard model. Despite the fact that the method developed with Yury Vilk and Steve Allen allows a satisfactory description of dominant fluctuations, such as pair fluctuations in the attractive Hubbard model, non-singular channels are more difficult to compute in a reliable analytical way. With Bumsoo Kyung and Steve Allen, we have found a way to use crossing symmetry to compute the spin and charge susceptibilities of the attractive model. These results can now be generalized to the case of the repulsive Hubbard model, as described in the following paragraph.
How antiferromagnetic fluctuations can both help and hinder d-wave superconductivity. Sub-dominant channels in the repulsive Hubbard model are superconducting channels. We are touching the heart of the high-Tc problem. Analytical results of Bumsoo Kyung are in quantitative agreement with simulations of Jean-Sébastien Landry , mentioned above. Our approach allows us to obtain an estimate of the superconducting transition temperature. Far from half-filling Tc increases as one decreases doping because of the enhanced antiferromagnetic fluctuations. Closer to half-filling, antiferromagnetic fluctuations create a pseudogap that leads to a decrease in Tc. Adding three-dimensional effects will allow us to obtain more quantitative results, in particular for the position of the antiferromagnetic phase boundary.
Phenomenological description of the competition between antiferromagnetism and d-wave superconductivity. Results of the preceding paragraph were obtained in the weak to intermediate coupling regime. But high-temperature superconductors are rather in the intermediate to strong coupling regime. It is possible to obtain a phenomenological description of this regime by starting directly with the t-J model to calculate effective interactions through sum rules. Correlation functions entering these sum rules are at equal time and short range in space. They can be estimated from mean-field theory, as shown by earlier studies. This approach, suggested by Bumsoo Kyung, allows one to find good estimates for the pseudogap and many other physical quantities but is not quantitative for all observable quantities.
Thermodynamic consistency and temperature-induced localization in interacting systems. Sébastien Roy , in his Master's thesis, is generalizing the approach of Yury Vilk to compute thermodynamic properties of the Hubbard model. There are two ways to obtain the thermodynamics in this approach. In general the results agree with each other within a few percent. When there is large disagreement, analytical methods are no longer reliable, as can be checked by comparing with Quantum Monte Carlo simulations. The calculation of the entropy will allow to interpret various measurements as well as the temperature and interaction induced localization phenomenon. The latter phenomenon had been discovered for all fillings in two dimensions by François Lemay in this PhD thesis and had been confirmed by Quantum Monte Carlo simulations begun by Jean-Sébastien Landry . Sébastien Roy is also checking, with David Sénéchal, the accuracy of the thermodynamics obtained from the Cluster Perturbation Theory method developed by Sénéchal.
Impurities in interacting systems. Coop student Alexis Gagné-Lebrun has begun computing the local density of states around an impurity using Quantum Monte Carlo simulations of the Hubbard model. The local density of states is measurable through Scanning Tunnelling Spectroscopy. The way in which the impurity modifies the local density of states as a function of distance from the impurity gives detailed information on the nature of impurities and interactions in the surrounding medium.
Fermi surface "melting". David Sénéchal has developed a numerical method, Cluster Perturbation Theory , that is based on a strong-coupling perturbation theory that we have developed a few years back. We are presently using this approach to understand how are modified the concepts related to the Fermi surface when the proximity to half-filling and the strength of interactions invalidates the usual concepts, in particular those attached to the Fermi liquid.
Effect of superconducting fluctuations on ultrasonic attenuation in organic quasi two-dimensional superconductors. With Maxim Mar'enko and Claude Bourbonnais, we are are trying to interpret experiments made by the group of Poirier on ultrasonic absorption in organic conductors of the (BEDT-TTF) 2 X family (kappa phase). Despite the vast literature on the effect of superconducting fluctuations on conductivity, very few works have been devoted to ultrasonic absorption.
Auteur et concepteur :
André-Marie Tremblay