Ce texte d’introduction a pour but de présenter les idées de base concernant l’informatique quantique sans toutefois entrer dans les difficultés mathématiques. Avant de s’intéresser à l’informatique quantique, révisons tout d’abord les concepts familiers reliés à l’information standard, ou comme nous allons à présent l’appeler, l’informatique classique.

Informatique classique

L’unité fondamentale de l’informatique classique est le bit (de l’anglais binary digit). Un bit peut prendre deux valeurs que l’on note habituellement 0 et 1. évidemment, ce choix de notation est complètement arbitraire et nous pourrions tout aussi bien choisir de représenter nos bits par des balles de couleurs différentes, disons rouge et verte [1] :

Une balle rouge représente donc un 0 et une verte un 1. Les bits (balles) sont précieuses et nous désirons les protéger au mieux possible. Pour ce faire, nous placerons nos bit dans des boîtes, une balle par boîte. Par exemple, imaginons que nous avons une balle rouge à laquelle nous tenons beaucoup. Nous la plaçons donc dans une boîte afin de la protéger de tout problème, de toute rencontre malheureuse (nous ne voudrions pas, par exemple, que quelqu’un la peigne en vert). Ainsi, on garde notre balle en sécurité jusqu’à ce que, plus tard, nous en ayons besoin et la sortions de la boîte. évidemment, puisqu’une balle rouge est entrée, une balle rouge sortira avec certitude :

Cette remarque apparemment anodine met en évidence une propriété fondamentale de l’information classique : lire l’information classique n’en change pas la valeur en aucune façon (évidemment !). De ce fait, l’information classique (les balles) peut facilement être copiée. De plus, on peut facilement et efficacement protéger l’information classique contre les erreurs.

Information quantique

Nous avons vu jusqu’à présent que l’unité fondamentale de l’information classique est le bit et que l’on peut représenter les bits par des balles de deux couleurs différentes. Bien sûr, les bits sont vraiment utiles (sans bits, vous ne pourriez lire ce texte !) mais leurs propriétés ne sont pas vraiment surprenantes et excitantes. Considérons plutôt les propriétés de l’information si cette information devait suivre les règles étranges de la mécanique quantique [2].

Nous nommerons l’unité fondamentale de l’information quantique le bit quantique ou, plus simplement, qubit (de l’anglais quantum bit). Comme sa contrepartie classique, un qubit peut prendre deux valeurs que l’on représente à nouveau par des balles rouges ou vertes. Ce ne sont toutefois pas des balles ordinaires; ce sont des quballes ! Ces quballes sont très précieuses et nous désirons les protéger de tout problème potentiel. Ainsi, comme dans le cas des balles classiques, nous placerons les quballes dans des boîtes. Il y a une différence importante ici toutefois : pour prendre en compte les propriétés étranges des quballes, nous aurons besoin de boîtes munies de deux portes.

Comme dans le cas classique, si l’on place une quballe rouge dans la boîte par la porte #1 et que, à un temps ultérieur, nous ouvrons cette même porte, nous verrons évidemment une quballe rouge (la même chose tient aussi pour les quballes vertes). De la même façon, si l’on place une quballe rouge (verte) par la porte #2 et que l’on ouvre plus tard cette porte, nous verrons une quballe rouge (verte) :

Jusqu’à présent tout cela n’est pas bien surprenant ou même intéressant. Mais ce n’est que le début de l’histoire…

Étrangeté quantique

Intéressons nous maintenant à une expérience qui n’était pas possible dans le cas classique où nous n’avions qu’une seule porte. Plaçons premièrement une quballe rouge par la porte #1 et, plutôt que de regarder le contenu de la boîte par cette même porte, nous ouvrons maintenant la porte #2 :

Dans ce cas, nous ne verrons pas nécessairement un quballe rouge. Nous verrons soit rouge, soit vert ! Plus précisément, si nous répétons cette même expérience plusieurs fois, nous observerons que dans 50% des cas le résultat est rouge et dans l’autre 50%, vert. Le résultat est donc complètement aléatoire et ne dépend pas de la couleur initiale de la quballe (rouge ici).

Ce résultat est étrange et il est utile de résumer rapidement ce que nous avons vu jusqu’à présent. Si l’on place une quballe par une porte et, à un temps ultérieur, nous ouvrons cette même porte, nous verrons une quballe de couleur identique. Toutefois, si l’on place une quballe par une porte donnée (disons #1) et ouvrons l’autre (ici #2) le résultat peut être soit vert soit rouge, et ce, peu importe la couleur initiale de la balle. Tout ceci est étrange et demande une explication.

L’interprétation donnée à ce phénomène par les physiciens est que, lorsqu’une quballe est préparée d’une certaine façon (par une certaine porte) avant que l’on regarde par cette même porte, la quballe est comme nous l’avions initialement préparée (même couleur). Ainsi, lorsque l’on regarde par cette même porte, le résultat est celui auquel on est en droit de s’attendre : la couleur initiale. Bon, ceci n’est pas très profond ou quoi que ce soit …

Par contre, si l’on prépare notre quballe par une certaine porte (disons encore #1), avant que l’on regarde par l’autre porte (du point de vue de l’autre porte, ici #2) notre quballe est à la fois rouge et verte ! De ce fait, lorsque l’on ouvre cette porte (ici #2) nous obtenons soit rouge ou vert avec une probabilité 1/2. Les physiciens appellent cette étrange situation (lorsqu’une quballe est simultanément rouge et verte) une superposition quantique : nous dirons donc que dans ce cas une quballe est dans la superposition des couleurs rouge et verte.

De plus, après avoir ouvert la porte et observé, par exemple, une quballe verte alors la quballe n’est plus dans une étrange superposition d’états, c’est une quballe verte et c’est tout. L’action d’ouvrir la boîte et de regarder la quballe a donc perturbé son état, cela a détruit la superposition ! [3] Il n’y a aucune analogie pour cela avec les balles régulières, classiques. (L’information (i.e. bits) qui encode ce texte n’est certainement pas affecté par la lecture de ce texte !!)

Vous n’êtes probablement pas satisfait de cette « explication » concernant les superpositions d’états et la perturbation résultant d’une mesure. Rien n’a été dit sur le fait que, dans une expérience donnée, nous obtenons une quballe rouge et dans une seconde expérience une quballe verte alors que la préparation et les conditions expérimentales sont les mêmes dans les deux cas. En fait, est-ce que l’on pourrait prédire pour toutes préparations et mesures quelle sera la couleur de la quballe ? Malheureusement, la réponse à ces questionnements est qu’il n’y a simplement pas d’explication pour cela. Ce comportement étrange des quballes est tout ce que la mécanique quantique nous dit. La théorie quantique ne nous donne aucun outil pour prédire le résultat d’une expérience donnée, elle ne nous donne accès qu’à des probabilités. En d’autres mots, la mécanique quantique nous permet de prédire les statistiques reliées à un grand nombre de mesures mais ne peut rien nous dire de plus à propos d’une mesure particulière. De même, la théorie quantique nous donne peut d’intuition sur la signification d’une superposition d’états et sur ce que cela veut dire pour une balle d’être à la fois rouge et verte.

Ce que l’on sait toutefois est que si l’on applique les règles étranges de la mécanique quantique (les superpositions et les probabilités) pour expliquer ce que l’on observe de la nature, nous obtenons de très bons résultats. En fait, la théorie quantique est la théorie ayant le plus grand succès comparativement à toute autre théorie en physique. Ceci devrait être une raison suffisante pour accepter ces règles étranges et continuer à nous intéresser à leurs conséquences sur l’information et son traitement.

Une conséquence : copie interdite

Attardons nous maintenant à une première conséquence de ces règles étranges : l’impossibilité de copier l’information quantique. Pour ce faire, considérons le jeu suivant : Alice prépare une quballe sans montrer ou dire à Bob comment elle le fait (i.e. par quelle porte et avec quelle couleur). Elle donne ensuite la boîte contenant la précieuse quballe à Bob et lui demande d’en faire une copie. Il gagne s’il réussit.

Considérons par exemple le cas où Alice place dans la boîte une balle verte par la porte #2. Elle donne ensuite la boîte fermée à Bob (celui-ci reçoit donc la boîte marquée d’un point d’interrogation) :

Pour faire une copie, Bob doit évidemment connaître l’état (couleur) de la quballe. Afin d’obtenir cette information, il doit ouvrir la boîte et regarder à l’intérieur. S’il ouvre la porte #2, il voit une quballe verte et il peut dès lors en faire une copie conforme : il gagne la partie. Toutefois, si le malheureux ouvre plutôt la porte #1, il verra avec probabilité 1/2 une quballe de la mauvaise couleur et produira une copie incorrecte. Il y a donc une certaine probabilité pour que l’opération de copie échoue.

Ce résultat est plus frappant lorsque l’on réalise que, sans l’aide d’Alice, Bob ne peut savoir s’il a fait une copie conforme à l’originale ou non et ce, simplement car il n’a aucune façon de savoir s’il a ouvert la bonne porte. Puisque l’on ne peut copier ce que l’on ne connaît pas, on doit en conclure qu’il est impossible de copier l’information quantique avec une grande probabilité de succès.

Pour certaines applications (comme la protection de l’information quantique contre les erreurs, i.e. la correction quantique d’erreurs, où nous aimerions faire plusieurs copies d’un qubit pour le protéger) cette propriété est très ennuyante. Dans d’autres circonstances, comme la cryptographie quantique, cela s’avere très utile.

Opérations quantiques

Comme nous le savons, les bits sont tout ce qui compte pour un ordinateur. Les bits encodent l’information sur votre disque dur, l’unité centrale (CPU) de votre ordinateur traite des bits lorsqu’il exécute des logiciels et ce sont aussi des bits qui sont traités par votre carte graphique afin de présenter ce texte sur votre écran (si vous lisez ceci en ligne), …

Imaginez maintenant un ordinateur qui n’utilise pas des bits mais des qubits : un ordinateur quantique. Est-ce qu’une tel bête serait utile ? Est-ce qu’elle pourrait être plus puissante qu’un ordinateur utilisant des bits réguliers ? La réponse à ces deux questions est affirmative. Avant de présenter pourquoi tel est le cas, expliquons d’abord comment il est possible de manipuler des qubits ou, en d’autres mots, comment on peut appliquer des opérations logiques sur ceux-ci.

Le but de toute opération logique, est de changer la valeur des qubits d’une façon contrôlée. Une opération intéressante à réaliser avec des qubits est de créer des superpositions d’états. Comment faire cela ? Comme vu précedemment, nous savons que si l’on prépare une quballe par la porte #1, avant d’ouvrir quelques portes que ce soit, la quballe est, du point de vue de la porte #2, dans une superposition d’états : si l’on ouvrait la porte #2, nous verrions rouge ou vert avec une probabilité égale. Nous savons donc comment préparer des superpositions d’états.

Mais imaginons que nous ayons accès seulement à la porte située au-dessus de la boîte. Comment procéder alors ? Une solution simple est de préparer la quballe par la porte #1 (qui est initialement au-dessus) puis effectuer une rotation de la boîte de façon à ce que la porte #2 soit maintenant au-dessus (une rotation de 90°). Nous avons alors une superposition d’états du point de vue de la porte du dessus :

Dans l’image ci-haut, la quballe à la gauche représente l’état initial et celle de droite l’état final. Le diagramme entre ces dernières représente l’opération appliquée sur la quballe initiale. Il s’agit ici d’une rotation qui est représentée par la flèche circulaire.

Cette rotation peut sembler bien superflue mais ce n’est pas le cas : en pratique, et pour des raisons qui dépassent le cadre de ce texte d’introduction, nous aurions accès seulement « à la porte du haut » dans un ordinateur quantique réel. Cette rotation est donc similaire à ce qui serait vraiment utilisé par un tel ordinateur et c’est ce que nous utiliserons dans ce texte pour préparer des superpositions d’états.

Décrivons maintenant une opérations logiques, ou porte logique, qui est très utile dans la manipulation de l’information quantique : le Non-Controlé (ou CNOT de l’anglais controlled-not). Contrairement à la rotation que nous venons de voir, cette porte agit sur deux quballes :

De la même façon que ci-haut, les quballes sur la gauche représentent l’état initial et ceux à la droite le résultat de l’application du CNOT. On représente graphiquement le CNOT par une ligne verticale débutant par un cercle pour se terminer par un x. Puisque nous ne considérerons que la porte du haut par la suite, nous pouvons tout aussi bien omettre de dessiner la boîte. On représentera donc le CNOT comme :

En utilisant cette notation, l’action du Non-Controlé sur les quatre arrangements de couleurs possibles de 2 quballes est résumée par le tableau suivant :

L’action du CNOT est donc d’inverser la couleur de la seconde quballe (ligne du bas dans le diagramme et quballes de droite dans chacune des colonnes du tableau) seulement si la première est verte.

CNOT : Table de la vérité

EntréeSortie

Circuits quantiques

Il est utile de placer plusieurs portes quantiques une à la suite de l’autre afin de réaliser des opérations logiques plus complexes. Considérons par exemple le circuit suivant avec 2 balles rouges comme état initial :

La première étape est une rotation de 90° et a pour effet de créer une superposition d’états pour la première quballe. Suite à cette rotation, les deux quballes sont alors dans l’état :

La première quballe est donc simultanément rouge et verte tandis que la seconde est rouge avec certitude (mais après tout, nous n’avons pas encore appliqué d’opérations sur cette quballe).

Maintenant, appliquons un CNOT sur ce nouvel état à deux quballes. Comme on peut le vérifier à partir de la table de vérité correspondante à cette opération, la combinaison rouge-rouge reste inchangée tandis que vert-rouge devient vert-vert. L’état est donc :

1/2
1/2

Le résultat de ce circuit sur l’état rouge-rouge est une superposition d’états très spéciale, une superposition de deux quballes plutôt que d’une seule comme vu jusqu’à maintenant. Pour cette superposition, les quballes sont simultanément toutes deux rouges et toutes deux vertes ! Ce résultat est plutôt étrange mais c’est ce que l’on obtient en appliquant les lois de la mécanique quantique.

Maintenant, quels sont les résultats possibles lors d’une mesure ? Suivant ce que l’on a appris plus tôt, nous savons que les résultats possibles sont soit deux balles rouges ou deux balles vertes. Ceci veut dire que si l’on ne regarde qu’une seule quballe, nous connaissons immédiatement la couleur de l’autre : ce sera la même couleur que celle observée.

Que les quballes soient de la même couleur après l’application du circuit ci-haut est vraiment surprenant. En fait, cette situation est tellement spéciale et intéressante que l’on a un nom particulier pour désigner cette situation; on dit que les quballes sont enchevêtrées.

Enchevêtrement

Intéressons nous davantage à l’état à deux quballes préparées à la dernière section afin de comprendre ce qu’il y a de si particulier.

Imaginons que deux quballes, initialement rouges, sont partagées entre Alice et Bob : Alice a la première et Bob la seconde. Ensemble, ils appliquent le circuit décrit à la section précédente. Comme nous le savons, leurs quballes sont maintenant dans une superposition rouge-rouge et verte-verte. Après cette préparation, Alice reste dans son laboratoire sur la Terre tandis que Bob part pour une croisière intergalactique vers la galaxie d’Andromède.

Lorsque Bob est arrivé à destination, Alice décide de mesurer sa quballe et elle obtient le résultat rouge. De la discussion précédente, il est clair que, immédiatement, la quballe de Bob est rouge elle aussi : si Bob mesurait sa quballe, il obtiendrait rouge avec certitude. Que s’est-il passé ici ? Une action par Alice sur la Terre a eu une conséquence immédiate à quelques années lumières de là sur Andromède. Il semble donc qu’un signal soit parti de la balle d’Alice pour se rendre instantanément vers la quballe de Bob afin de l’informer sur la couleur qu’elle doit prendre à partir de ce moment. Ceci est vraiment très étrange car selon la théorie de la relativité restreinte développée par Einstein en 1905 [4], aucune information ne peut se propager à une vitesse supérieure à la vitesse de la lumière (si le signal est allé instantanément de la Terre vers Andromède, il allait certainement plus rapidement que la vitesse de la lumière).

Ce résultat est tellement intrigant qu’en 1935, Einstein, Podolsky et Rosen ont argumenté, en utilisant un scénario similaire dans le principe, que si la mécanique quantique prédit des résultats aussi étranges, elle doit certainement être incomplète et ne peut décrire correctement la nature. Ceci est maintenant connu sous le nom du paradoxe EPR [5].

Heureusement pour les ordinateurs quantiques et malheureusement pour Einstein et ses collaborateurs, des expériences ont montré que l’enchevêtrement est un phénomène bien réel et présente le comportement étrange décrit ici [6]. Il semble donc que la mécanique quantique est une bonne description de la nature. Il est important de mentionner que la relativité restreinte n’est pas violée dans le scénario présenté çi-haut parce qu’il n’y a pas d’échange d’informations entre les quballes : il n’y a aucun moyen pour Alice et Bob d’utiliser seulement leurs deux quballes enchevêtrées pour échanger de l’information.

Même s’il n’est possible d’échanger de l’information en utilisant seulement des paires de quballes enchevêtrées (nous appellerons aussi cela une paire EPR), ces états sont certainement utiles. Comme nous le verrons plus loin, ce sont les paires EPR qui rendent les ordinateurs quantiques puissant. Les paires EPR rendent aussi possible la téléportation quantique.

Téléportation quantique

’’Beam me up, Scotty’’. -Capitaine Kirk

Imaginons qu’Alice veuille donner une quballe bien particulière à Bob (qui est encore sur Andromède). Malheureusement, quelqu’un d’autre a préparé cette quballe et elle ne connaît pas les détails de cette préparation. De ce fait, elle ne peut pas simplement dire à Bob comment préparer une quballe identique seulement en parlant avec lui sur le téléphone intergalactique. De même, cette quballe est très précieuse et Alice n’a aucune confiance dans le service de poste intergalactique (évidemment, le vrai problème avec cette option est que les officiers de douanes insisterons pour ouvrir la boîte détruisant ainsi l’état de la quballe…).

Heureusement, ils ont toujours en leur possession une paire EPR préparée lors de leur dernière rencontre. Utilisant cette paire, Alice pourra faire parvenir sa précieuse quballe à Bob grâce à la téléportation quantique. Décrivons maintenant comment cela est possible.

Nous verrons comment ces règles étranges de la théorie quantique peuvent s’avérer utiles en mettant à profit tout ce que nous avons vu jusqu’à présent. Il s’agit de la partie la plus technique de ce texte; nous procéderons donc étape par étape. Premièrement, la quballe d’Alice peut être dans n’importe quel état : elle peut être rouge, verte ou les deux. Afin d’être aussi général que possible, nous la représenterons par la superposition suivante :

Ceci est très général. Par exemple, le cas où c=1 et d=0 représente une quballe rouge. A l’opposé, c=0 et d=1 représente une quballe verte. L’autre possibilité déjà rencontrée est c=d=1/2, ce qui représente une superposition de rouge et vert. Nous insistons sur le fait que cette quballe appartient à Alice en ajountant l’indice A sur celle-ci (un B signifie plutôt que la quballe appartient à Bob).

c
d

De même, comme nous l’avons déjà dit, Alice et Bob doivent se partager une paire EPR :

1/2
1/2

Les indices nous apprennent que la première quballe appartient à Alice et la seconde à Bob. Un aspect nouveau de cet exemple est que l’on ne traite pas seulement de une ou deux quballes mais bien de trois (la quballe qu’Alice aimerait faire parvenir à Bob et les deux quballes de la paire EPR). écrivons donc l’état décrivant complètement l’état du système. Nous avons vu comment faire cela à la section ’Circuits Quantiques’. Il y a deux possibilités pour la première quballe et deux pour la paire EPR. Il y a donc 2×2=4 possibilités pour les trois quballes :

Les facteurs 1/2 de la paire EPR n’ont pas été explicitement écrits et la ligne horizontale n’est qu’un guide pour les yeux. La description complète du système est donc que les trois quballes sont dans une superposition de 4 configurations différentes de couleurs.

Alice fait maintenant un Non-Controlé sur ses quballes. En appliquant les règles données par la ’Table de Vérité’ de cette opération (inverse la couleur de la seconde quballe seulement si la première est verte), le résultat est :

c
d
c
d

Évidemment, seulement la seconde quballe d’Alice à été affectée par cette opération (quballe du centre). Ceci fait, Alice applique maintenant une rotation de 90° sur sa première quballe (la plus à gauche dans chaque ligne). La représentation de l’état sera maintenant un peu plus lourde puisque, comme nous l’avons déjà vu, une telle rotation amène une quballe dans une couleur spécifique vers une superposition des deux couleurs possibles. Nous avions une superposition de 4 configurations, nous aurons maintenant une superposition de 2X4=8 états puisque la première quballe (la plus à gauche) est maintenant soit rouge ou verte :

Heureusement, nous avons presque terminé ! Une observation essentielle ici pour compléter la téléportation est que cette superposition de huit configurations différentes de couleurs a une structure bien particulière : il y a deux configurations (lignes) où les quballes d’Alice sont tout deux rouges (la première et la septième), deux lignes où elles sont respectivement verte et rouge (lignes 2 et 8), deux où elles sont respectivement rouge et verte (ligne 3 et 5) et finalement deux où les deux quballes d’Alice sont vertes (lignes 4 et 6). Afin de rendre cette structure plus explicite, réarrangeons les lignes de la superposition de façon à rendre ces paires de lignes voisines :

Du membre de droite de l’égalité ci-haut, il apparaît que, correspondant à chacune des quatre configurations de couleurs des deux quballes d’Alice, correspond une superposition de la quballe de Bob. Quand les deux quballes d’Alice sont rouge-rouge ou verte-rouge alors la quballe de Bob est exactement dans l’état de la quballe qu’Alice voulait lui faire parvenir ! Toutefois, lorsque les quballes d’Alice sont soit rouge-verte ou verte-verte, la quballe de Bob est presque correcte : seulement les coefficients ’c’ et ’d’ sont interchangés (on insiste sur cela dans la figure en écrivant ces coefficients d’une couleur différente). Cette correspondance entre les quballes d’Alice et Bob est une manifestation que ces trois quballes sont maintenant enchevêtrées [7].

Afin de compléter la procédure, Alice mesure ces quballes. Il y a quatre résultats possibles : les quatre configurations possibles des deux quballes telles que présentées à la figure précédente. évidemment, puisque les quballes d’Alice sont enchevêtrées avec celle de Bob, la quballe de Bob après la mesure va être dans l’état associé au résultat d’Alice (voir l’image).

Comme nous l’avons déjà mentionné, dans deux des résultats possibles de la mesure, la quballe de Bob est exactement dans l’état qu’Alice voulait lui faire parvenir ! Malheureusement, pour les deux autres résultats possibles, l’état n’est pas le bon : les coefficients sont interchangés. Afin de régler cette situation, Alice doit dire à Bob quelles couleurs elle a obtenu lors de la mesure. Bob sait alors si les coefficients sont les bons ou non. S’ils sont les bons, la procédure est terminée. S’ils sont inversés, alors il peut échanger une quballe rouge par une verte et une verte par une rouge (un peu de la même façon qu’un Non-Controlé échange une quballe rouge pour une verte). La téléportation est alors complétée : Alice a réussi à ’donner’ à Bob une quballe dans l’état exacte qu’elle désirait sans jamais avoir à lui envoyer cette quballe particulière. Voilà pourquoi cette procédure est nommée téléporation.

Il est important de mentionner que pour compléter le transfert, Alice doit appeler Bob par le téléphone intergalactique et lui dire les résultats de ses mesures. Sans cet appel, Bob n’aurait aucune façon de savoir si sa quballe est dans le bon état ou non. De ce fait, toute la procédure serait inutile. évidemment, parler sur le téléphone intergalactique prend beaucoup de temps (rappellons-nous que l’information ne peut voyager à une vitesse plus grande que celle de la lumière) ceci veut dire que la téléporation en entier ne peut être réalisé instantanément. Einstein serait satisfait de cette conclusion puiqu’elle signifie que la téléporation quantique ne viole pas la relativité restreinte.

La téléportation quantique n’est pas seulement un rêve de théoricien mais a été réalisées expérimentalement, utilisant des photons et des spins nucléaires plutôt que des balles toutefois [8]. L’application de cette technique à des objets plus gros, comme des humains, est par contre encore bien loin si jamais cela devient réalité…

Ordinateurs classiques

Une chose que nous avons apprise jusqu’à présent est comment les quballes sont différentes des balles ordinaires, comment l’information quantique est différente de l’information classique. Une des motivations pour étudier ces différences était de savoir si un ordinateur suivant les règles de la mécanique quantique pourrait être utile et peut-être même plus puissant qu’un ordinateur régulier, classique. Il est maintenant temps de répondre à cette question mais, tout d’abord, regardons le cas classique qui nous est déjà familier.

Imaginons un ordinateur classique (comme un PC) mais ayant seulement 7 bits (ce qui est beaucoup moins que les milliards de bits dans les CPUs modernes !). Encore une fois, on représente ces 7 bits par des balles. Il y a plusieurs configurations de couleurs pour ces 7 balles :

Il y a un total de 2x2x2x2x2x2x2 = 128 arrangements pour 7 bits. Puisque chaque bit ne peut être que rouge ou vert (et non pas simultanément les deux couleurs) alors l’état de cet ordinateur classique est très simple à décrire : chacune de ces 128 configurations de couleurs est mutuellement exclusive et tout ce qui est nécessaire pour représenter complètement l’état de l’ordinateur est 7 bits (évidemment, nous avons un ordinateur à 7 bits alors ceci n’est pas bien difficile à comprendre !). Il s’agit d’une observation bien simple mais elle sera utile pour bien comprendre la différence avec le cas quantique.

      

Ordinateurs quantiques

Imaginons un ordinateur quantique à 7 qubits. Comme dans le cas classique, il y a 128 configurations possibles de 7 quballes. Ici toutefois la description n’est plus simple du tout. Dans le cas quantique, on ne peut dire qu’une quballe particulière est soit rouge soit verte puisque, selon la porte que l’on ouvrira, elle a le potentiel d’être rouge ou verte. De plus, puisque les quballes peuvent être enchevêtrées avec les autres quballes, ouvrir une porte a un impact sur ce que l’on obtiendra lorsque l’on ouvrira les autres portes. Rappellons-nous que pour une paire EPR, si l’on ouvre une boîte et observons une quballe rouge, alors on sait, avant même d’avoir ouvert l’autre boîte, que l’on observera une quballe rouge; notre première mesure a eu une influence sur le résultat de la mesure subséquente. Une description complète des 7 quballes doit donc tenir compte de ces subtilités supplémentaires qui sont inexistantes pour le cas classique.

Un ordinateur quantique à 7 quballes (qubits)

Pour bien comprendre la différence entre ordinateur classique et quantique, il est utile de représenter les quballes par des balles regulières. Comme nous venons de le voir, dans le cas quantique, 7 balles régulieres ne seront pas suffisantes pour une description complète du système. Puisque toute les configurations de couleurs pour les quballes peuvent être en superposition d’états, nous aurons besoin de 128 balles régulières, c’est-à-dire autant que le nombre de configurations possibles.

On a donc besoin d’un nombre exponentiellement plus grand (2 à la 7 plutôt que 7) de balles que dans le cas classique ! Comme on le constate à partir du tableau suivant, cela fait une différence énorme :

Comme on le constate à partir de ce tableau, le nombre de balles classiques requises pour décrire correctement l’information quantique est énorme. Par exemple, pour 300 quballes (un nombre bien petit comparativement aux milliards de transistors dans un PC moderne) le nombre de balles classiques requises est plus grand que le nombre d’atomes dans l’univers visible ! Ceci signifie que si l’on prenait toute la matière contenue dans l’univers visible, nous n’aurions toujours pas assez de ressources pour décrire complètement l’état de ces 300 quballes ! évidemment, ceci implique que la simulation classique de simplement 300 quballes, sans mentionner un nombre plus grand de quballes, est sans espoir …

Puisqu’un ordinateur classique n’est pas capable de simuler efficacement un ordinateur quantique et puisqu’un ordinateur quantique est capable de simuler efficacement un autre ordinateur quantique, alors un ordinateur quantique doit être plus puissant que sa contrepartie classique. C’est la conclusion à laquelle Richard Feynman est arrivé au début des années 1980 et qui a stimulé l’intérêt dans ce domaine.

# de quballes# de balles classiques requises pour une description complète
101024
201 048 580
201 0 73 470 000
300Plus que le nombre d’atomes dans l’univers visible !

Pour aller au-delà des balles…

Les balles et les quballes sont une façon simple (je l’espère !) de présenter et comprendre les idées de base reliées à l’information classique et quantique. En utilisant des balles, nous avons pu présenter les propriétés de base de ces deux types d’information et leurs principales différences. Nous avons vu que l’information quantique se comporte étrangement et ce en particulier lorsque l’on fait une préparation par une porte et que l’on observe à partir d’une autre porte obtenant alors un résultat aléatoire. En utilisant cette notation, nous avons obtenu quelques résultats importants comme le théorème anti-clonage et des applications utiles comme la téléportation quantique.

Toutefois, comme il est devenu évident lors de la discussion reliée à la téléportation quantique, cette notation est un peu lourde lorsque l’on a traiter un grand nombre de balles. Mais maintenant que l’on comprend les idées de base concernant l’information quantique, une notation beaucoup plus pratique est de représenter les balles (ou quballes) par quelque chose de beaucoup plus simple : disons des 0 et des 1 ! Après tout, il est plus simple décrire un 0 ou un 1 que de dessiner des balles rouge et vertes.

Maintenant que l’on revient au 0 et 1, nous sommes près à utiliser cette notation simple pour aller plus loin dans notre exploration de l’information quantique. Cette exploration plus approfondie est toutefois au-delà de ce texte d’introduction mais il y a beaucoup de ressources pour vous guider dans ce nouveau et innovateur champ de recherche. En plus des références déjà citées [1-7] vous devriez continuer à explorer cette page web où vous trouverez plus d’informations sur les algorithmes et les implémentations physiques (c’est-à-dire, comment réaliser des quballes expérimentalement) et des liens vers d’autres sites webs pertinents.

[1] L’idée d’utiliser des balles de différentes couleurs pour représenter l’information est due à John Preskill de Caltech. Voici quelques uns de ces articles utilisant cette notation simple : 1) Battling Decoherence: The Fault-Tolerant Quantum Computer, Physics Today, p24, June 1999. 2) Robust Solutions to Hard Problems, Nature, p631, February 1998. Consultez aussi sa page web où vous trouverez des transcriptions de certaines de ces conférences (quelques exemples de ce texte sont tirés de ces transcriptions) et des notes de cours pour un cours gradué sur l’information quantique.

[2] Pour une introduction à la mécanique quantique accessible et agréable, une bonne place pour commencer est le livre de Richard Feynman ’’QED : The Strange Theory of Light and Matter’’. Princeton University Press, 1985.

[3] Le fait que la mesure d’une superposition perturbe l’état et rend l’observation de la superposition impossible ne devrait pas être surprenante. Après tout, avez vous jamais vu une telle superposition d’états ? De ce fait, la théorie ne devrait prédire la possibilité d’observer de tels états puisque cela va à l’encontre de notre expérience du quotidien.

[4] Albert Eisntein, The Meaning of Relativity. Princeton University Press, 1966.

[5] Pour plus de détails concernant l’enchevêtrement et le paradoxe EPR, voir cette page web.

[6] Les expériences n’ont pas été faites avec des balles mais des photons, des particules de lumière. Un groupe de chercheurs ont enchevêtré deux photons, les ont séparés de 10 km en utilisant de la fibre optique puis les ont mesurés. Le même type de corrélation dont nous avons parlé pour les qubits a été observé avec ces photons. Voici la référence à l’article original décrivant cette expérience : Gisin et al. Physical Review Letters, 81 3563 (1998). Une version pré-publication est disponible à partir de cette page web.

[7] Il faut se souvenir que c’est exactement ce que l’on avait avec une paire EPR : pour une couleur particulière de la première couleur, correspond une couleur pour la seconde (elles sont toujours les mêmes). Dans la situation actuelle, la correspondance est différence puisqu’il y a trois quballes plutôt que deux.

[8] Pour plus d’informations sur la téléportation et plus particulièrement ces réalisations expérimentales, un bon point de départ est cet article de Scientific American. Cette page web aussi est instructive.